Malgré la crise, « nous n’avons perdu aucun adhérent » (Marie-Laure Compagny, Plie de Marseille)

« Nous avons maintenu quasiment toute notre offre de services, sans interruption », déclare Marie-Laure Compagny, directrice opérationnelle d’Émergences, la structure qui anime le Plie de Marseille Provence Centre. L’opérateur n’a « perdu aucun adhérent », assure-t-elle lors d’un entretien avec AEF info mardi 14 avril 2020. La très grande majorité des collaborateurs du dispositif sont mobilisés en télétravail, complète le directeur général Jean-Christophe Barusseau. Certes, le Plie recueille moitié moins d’offres d’emploi qu’à l’accoutumée, relève-t-il, mais « les entreprises continuent à nous aider à préparer les entretiens d’embauche, à réaliser des simulations et à participer aux actions de parrainage », indique Brigitte Heuzard, accompagnatrice à l’emploi. Toutefois, les adhérents font face à des difficultés financières et sociales accrues, souligne-t-elle.

AEF info : Quelle organisation avez-vous adoptée avec la mise en place du confinement ?

Jean-Christophe Barusseau : Tous les collaborateurs du Plie sont en télétravail, tant les salariés d’Émergences, la structure qui anime le dispositif, que les accompagnateurs à l’emploi des associations qui mettent en œuvre les parcours d’insertion. C’est le choix qui a été fait à l’annonce du confinement, et qui a été confirmé dès que nous avons eu l’assurance de la part de la DGEFP, du FSE et de nos financeurs locaux qu’ils examineraient avec bienveillance nos process adaptés à la situation nouvelle, notamment en termes de traçabilité des contacts avec nos adhérents, désormais uniquement téléphoniques.

Marie-Laure Compagny : Sur les 43 salariés d’Émergences, 3 sont en arrêt maladie : 2 pour une situation de fragilité avérée avant même le confinement et un pour une infection par le Covid-19. Par ailleurs, 2 des 33 accompagnateurs à l’emploi sont en arrêt de travail pour garde d’enfant. Les salariés qui sont à leur poste vont bien. Nous veillons au maintien du lien. Chaque matin, j’envoie un message, une musique, un texte pour garder un contact convivial.

AEF info : Comment parvenez-vous à animer les équipes à distance ?

Jean-Christophe Barusseau : J’anime une réunion d’équipe chaque lundi matin en visioconférence. Tous les responsables de pôles sont par ailleurs en contact téléphonique quotidien avec leurs équipes. Les accompagnateurs à l’emploi participent quant à eux chaque semaine à une conférence téléphonique. Côté matériel informatique, nous n’avons pas pu équiper tout le monde avant le début du confinement. Nous avons distribué les ordinateurs portables que nous avions et attribué l’unique clé 4G dont nous disposions. Je m’en suis d’ailleurs ouvert à la métropole Aix-Marseille-Provence, notre principal financeur. Le confinement va encore durer et le déconfinement sera progressif, il est donc probable que nombre d’entre nous resteront en télétravail après le 11 mai. La question de l’équipement se pose donc pour un moment. Malgré tout, nous sommes devenus des pros d’outils dont nous ne connaissions pas le nom avant. Nous organisons nos visioconférences sur Microsoft Teams et nos conférences téléphoniques sur OVH. Nous n’avons pas d’abonnement sur Zoom, mais beaucoup de collaborateurs et de partenaires fonctionnent avec cet outil.

Marie-Laure Compagny : Chaque semaine, les responsables de pôles et les animateurs territoriaux des accompagnateurs à l’emploi établissent une feuille de route, avec le plan de charge de la semaine à venir, le suivi de ce qui a été réalisé la semaine précédente, les points problématiques… Nous avons aussi publié un questions/réponses pour aider les accompagnateurs à l’emploi dans l’accomplissement de leurs missions. Il a déjà été mis à jour plusieurs fois à partir de leurs remontées. Les salariés d’Émergences et les accompagnateurs à l’emploi ont tous au moins un smartphone, donc tous ont accès aux e-mails et aux ressources électroniques ainsi qu’aux documents de notre plateforme interne. Beaucoup ont également un ordinateur personnel. Nous trouvons des solutions lorsqu’il y a besoin. Par exemple, nous sommes en contact téléphonique étroit avec deux chargées de relation entreprises qui n’ont pas d’ordinateur. Elles nous transmettent les offres d’emploi et nous les enregistrons et les diffusons pour elles. Il y a beaucoup d’entraide et de solidarité.

AEF info : Le Plie a-t-il dû réduire son activité ? Quelles missions avez-vous mises en sommeil ?

Marie-Laure Compagny : Notre objectif, c’est la continuité de service, et nous y parvenons. Nous avons maintenu quasiment toute notre offre de services, sans interruption. Sur une file active de 1400 adhérents avant le début du confinement, nous n’en avons perdu aucun. Des sorties du Plie avaient été envisagées pour deux adhérents qui ne respectaient pas leurs engagements, nous les avons repoussées. Et nous continuons de recevoir des demandes d’entrées de la part de nos partenaires, certes en nombre moins important qu’avant, mais nous en avons, notamment de la part des référents accompagnement renforcé de Pôle emploi.

Jean-Christophe Barusseau : J’ai fait l’autre jour un bilan avec un accompagnateur à l’emploi. Neuf personnes étaient en phase de diagnostic avant le début du confinement, pour vérifier la pertinence d’une entrée dans le dispositif. Huit d’entre elles font maintenant partie de nos adhérents et ont commencé leur parcours au sein du Plie. Cette période nous amène même du positif. On se rend compte qu’on peut faire un certain nombre de choses par téléphone et que ces échanges audio constituent aussi un gain de temps.

AEF info : Comment accompagner vers l’emploi lorsque le marché du travail est en repli ?

Marie-Laure Compagny : La baisse du nombre d’offres d’emploi est difficile à évaluer. 30 à 40 % des offres habituellement collectées par nos chargés de relations entreprises proviennent du BTP et de l’hôtellerie-restauration, deux secteurs actuellement hors circuit. Il y a aussi la problématique de la sécurité sanitaire. Deux adhérents ont été recrutés par des entreprises qui n’offraient pas les garanties nécessaires. Nous avons préféré tout arrêter.

Jean-Christophe Barusseau : Je dirais que nous recueillons 50 % d’offres d’emploi en moins. En fait, nous avons deux soucis : il y a moins d’offres, même s’il en existe, et il y a des adhérents qui ne veulent pas se positionner sur une offre car ils ont vraiment peur d’aller travailler et d’être exposés au virus. Par ailleurs, en matière d’actions partenariales avec les entreprises, nous avons dû évidemment suspendre les différentes formes de passages en situation de travail qui permettent d’acquérir de l’expérience professionnelle. Mais les simulations d’entretiens d’embauche et les parrainages se poursuivent. Nous avons d’ailleurs répondu à la proposition lancée par EDF via sa plateforme collaborative régionale Human Pacte dans le cadre de leur opération Confinés mais solidaires, pour la réalisation de 20 simulations et 10 parrainages. EDF nous a dit que nous avions été les premiers au niveau national à inaugurer cette action.

AEF info : Envisagez-vous, lors de la reprise, d’intégrer les nouvelles modalités de travail à distance expérimentées pendant la crise ?

Jean-Christophe Barusseau : Nous n’avons pas encore commencé à réfléchir aux nouvelles modalités d’organisation et de travail. Mais on s’est tous dit qu’il y aurait des choses à garder.

Marie-Laure Compagny : Notre activité ne s’étant pas interrompue, il n’y aura pas à proprement parler de reprise. Mais il faudra effectivement se poser la question de l’organisation de nos temps collectifs, pour continuer à travailler en toute sécurité pendant la phase de déconfinement.

Avec la crise sanitaire, « nous faisons aussi de l’accompagnement social »

Brigitte Heuzard est accompagnatrice à l’emploi dans les quartiers Nord de Marseille pour la Fondation des Apprentis d’Auteuil. Elle explique à AEF info comment elle est en mesure de proposer aux adhérents un accompagnement adapté et néanmoins conforme aux engagements du Plie.

« Tout s’est mis en place de façon très rapide et efficace », relate-t-elle. « Je n’ai pas d’ordinateur portable ni de box internet. J’en ai emprunté un et j’utilise le partage de connexion de mon téléphone personnel, j’ai ainsi accès à tout. Le questions/réponses diffusé par le Plie répond à tous nos doutes et nos besoins et nous sommes en lien en chat grâce à l’outil Line.

J’accompagne 45 adhérents, je les ai tous appelés une première fois pour les rassurer et leur expliquer que nous allions continuer le suivi par téléphone et par mail. Quelques-uns préfèrent suspendre l’accompagnement, le frein principal étant l’impossibilité de s’isoler à son domicile, mais la plupart acceptent de poursuivre ainsi. En début de parcours, l’adhérent travaille sur son projet professionnel. C’est toujours possible. Par exemple, ce matin, j’ai inscrit un monsieur à la Cité des métiers qui continue son activité en téléconseil. La recherche d’info métier ou la préparation à l’entrée en formation se fait par enquête téléphonique et sur internet, car beaucoup d’adhérents ont un téléphone connecté ou se font aider par leurs ados qui prennent du temps pour eux. Nous nous saisissons aussi davantage des tutoriels et des Moocs. Dans un premier temps, nous les informons de l’existence de l’outil, nous les invitons à le découvrir avant d’en reparler et de l’utiliser ensemble si nécessaire. Nos partenaires répondent aussi toujours présents. Les entreprises continuent à nous aider à préparer les entretiens d’embauche, à réaliser des simulations et à participer aux actions de parrainage.

Ce qui change, c’est que nous sommes amenés à sortir du cadre strict de l’accompagnement à l’emploi, pour faire aussi de l’accompagnement social. Nos adhérents sont souvent dans une situation précaire, avec un accès réduit ou inexistant aux médias et à l’information. Il faut leur rappeler les consignes de prévention. Leur situation financière déjà difficile s’est dégradée, ceux qui étaient en fin de CDD n’ont plus d’emploi, beaucoup ont du mal à acheter à manger. Il y a des difficultés d’actualisation de situation à Pôle emploi, des problèmes d’accès aux allocations, des contrats d’engagement réciproque du RSA parvenus à échéance qui n’ont pas pu être renouvelés. Beaucoup ont peur de voir leurs droits suspendus, ils ont besoin d’être rassurés et aidés. À ce titre, ils sont heureux que nous leur téléphonions, ils nous disent que nous sommes les seuls à nous occuper d’eux.

Notre cœur de métier reste cependant l’emploi, et il existe des opportunités pour ceux qui peuvent et veulent aller travailler sur des postes d’employés de libre-service, d’aide soignant hospitalier ou de livraison de repas par exemple. Néanmoins, il y a beaucoup de familles monoparentales parmi nos adhérents, l’emploi n’est donc pas possible pour eux dans la situation actuelle.  »

 

Dépêche n° 625891 • Nous vous transmettons cette dépêche avec l’accord formel d’AEF info.